La conférence sur les peintres et la guerre de 14-18

Marie-Christine Haussy a livré en salle polyvalente le 15 septembre 2018 une très intéressante conférence sur les œuvres des peintres durant la guerre de 14-18. L’assistance n’était malheureusement que d’une quinzaine de personnes : le soleil, la préparation du vide-grenier du lendemain, ou tout simplement le recul devant la démarche intellectuelle ? L’Association Les Pilles, Histoire et patrimoine se demande si elle doit continuer ou repenser son cycle de conférences.

On trouvera ci-après un résumé de la conférence. Les oeuvres citées, de même que les peintres, sont trouvables sur internet.

Passionnée et passionnante, Marie-Christine Haussy a d’abord montré à quel point les guerres sont un sujet pour les peintres. Depuis la Renaissance, la peinture de batailles s’est développée, intégrant un à un les changements de matériel et de tactique. Aux charges de cavalerie d’Uccello ont succédé les escarmouches dans la campagne, les sièges, les panoramas didactiques. Mais alors qu’Austerlitz est immortalisée par le baron Gérard, élève de David, devenu portraitiste de la Cour, les scènes de combat peintes par Alphonse de Neuville (1836-1885) ne montre plus le héros, souverain, général, mais le soldat dont l’esprit de résistance a largement dépassé celui de ses chefs politiques et militaires.

En 1914, les Impressionnistes français sont pour la plupart décédés et les grands maîtres restants comme Degas, Guillaumin, Monet ou Renoir ont entre 74 et 80 ans. En peignant les Nymphéas en 1915, Monet veut réaliser une œuvre de paix dans un monde en guerre… Ce sont donc les post-impressionistes (Seurat, Signac, Luce) qui ont la cinquantaine et prennent le relais, ainsi que le mouvement Nabis (Sérusier, Bonnard, Denis, Vuillard), le fauvisme (Matisse qui a 45 ans en 1914) et le cubisme (Cézanne, Braque et Picasso ou Gris, qui en tant qu’Espagnols restent neutres et en dehors des combats). Chagall, né en 1887, fera un hommage à Apollinaire. Dans la presse, une croisade « anti-boche » cherche à démontrer l’influence néfaste de la culture allemande sur l’esprit classique français.

En Allemagne règne  l’expressionisme (Beckman, Krichner). Macke mourra en 1914 à la bataille de la Marne. Il avait exprimé dans L’Adieu son angoisse à l’approche du départ pour le front.

La peinture va se partager entre missions officielles et expressions personnelles. Les dessins d’un portraitiste, François Flameng, sont reproduits en nombre, en couleurs et en pleine page dans L’Illustration dès 1915, qui publie également les  grands dessins au style épique – voire cocardier – de Georges Scott, mettant en avant les qualités du combattant français.

Bonnard fait partie du groupe des peintres qui ont reçu mission à la fin de 1916 d’aller peindre la guerre. La tâche semble très éloignée de ce que l’artiste faisait auparavant, inspiré en général par les nus et les scènes d’intérieur. Vuillard est comme Bonnard et Denis invité à se rendre dans les tranchées en hiver 1917. Il peint par exemple L’Interrogatoire d’un prisonnier,  marqué par sa froideur. Maurice Denis a été exempté du service militaire pour raisons de santé mais demande à être en première ligne. Dans Soirée calme en première ligne, il refuse toute référence au tragique, laissant dominer son tableau par les couleurs claires et les sujets calmes qui lui sont déjà esthétiquement habituels. Il livre dans ses tableaux une vision qui reste anecdotique, aseptisée pas de cadavres pas de combats, une exaltation du patriotisme.

D’origine suisse, Félix Vallotton publie en 1916 un album de 6 gravures sur bois, C’est la guerre !, où il donne ses impressions sur la guerre vécue de l’arrière décrivant l’infamie. Il se porte volontaire en juin 1917 et visite alors les tranchées et les premières lignes du front de l’Est. Il restitue les  » endroits où se sont passés les choses  » mais non l’action elle-même.

Gaston Balande, autodidacte, envoyé à Nieuport, en Belgique, et à Verdun, compose, sur place, des peintures particulièrement émouvantes. Etudiant en médecine, Henri Camus se trouve souvent en première ligne dans les tranchées et est le témoin des souffrances des poilus mais aussi de leurs héroïques courages. La qualité de ses dessins est vite reconnue puisque certains sont exposés en 1916 au Salon des armées au jardin des Tuileries. Les Croquis de guerre de Mathurin Méheut sont un véritable témoignage de la vie dans les tranchées.

André Mare participe à la section de camouflage, nouvelle discipline pour l’époque, et y applique les principes de dislocation des formes issus du cubisme. Cubiste, Fernand Léger, mobilisé dès août 1914, exécute une série de croquis pris sur le vif : L’Homme à la pipe, Partie de cartes, etc. A Paris, pour Blaise Cendrars, qui a perdu son bras au front, il illustre « J’ai Tué » publié en 1918.

En 1914, Apollinaire s’engage, manière de démontrer combien il est Français. Pablo Picasso pastiche les images d’Epinal à la gloire de Napoléon dans Guillaume de Kostrowitzky, artilleur. Le portrait suivant qu’il fera de lui après sa mort rend cependant hommage à son courage. Georges Braque est atteint par un éclat d’obus à la tête, et est laissé pour mort mais survivra et reprendra goût à la peinture en 1917 avec Juan Gris.

Les expressionnistes allemands vont aussi rendre compte de leur temps, comme Max Beckmann avec Der Kriegsausbruch (La Déclaration de guerre) où il capte l’enthousiasme des foules. En 1915, affecté comme infirmier dans les Flandres. Il fait une dépression nerveuse. Kirchner réalise un Selbstbildnis als Krankenpfleger (Autoportrait en infirmier), où il porte l’uniforme mais tend, au lieu d’une main tenant un pinceau, un moignon sanglant, tranché à hauteur du poignet. Mutilation symbolique : cet homme ne pourra plus peindre. En 1915, il fait plusieurs séjours en sanatorium. Puis les persécutions nazies l’ont poussé au suicide.

Autre expressionniste allemand, Otto Dix est envoyé sur le front à l’automne 1915 parce qu’il se porte volontaire. D’abord enthousiaste, il est très marqué par la guerre et souhaite en montrer toute l’horreur et réalise environ 600 dessins, gouaches, aquarelles qui sont comme des notes, prises sur le vif ou à l’occasion d’un souvenir qui ressurgit, ainsi qu’une série de 50 eaux fortes intitulées Der Krieg (la guerre), et d’autres toiles représentant le monde dérisoire des mutilés : les Mutilés de la guerre.